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Ouvrir l’iris

L’iris blanc (2023)

Astérix et Obélix Tome 40

Scénario : FabCaro

Dessins : Didier Conrad

Paru le 26 octobre 2023

Chez Hachette

 

Contrairement à ce qu’on pouvait craindre : Astérix n’est pas mort avec ses créateurs ! Il est même très vivant. Des projets fleurissent chaque année pour le meilleur…et pour le pire. Mais nous ne parlerons pas ici du « film » de Guillaume Canet. Encore que cela pourrait être intéressant de le faire dans un futur proche pour comprendre ce qui n’y fonctionne pas. Bref, entre les jeux vidéo, la série d’animation autour d’Idéfix et celle d’Alain Chabat pour Netflix, la licence a de beaux jours devant elle. C’est dans ce contexte que parait le 40ème album, L’Iris blanc.

En 50 avant Jésus-Christ, toute la Gaule…Vous connaissez le laïus ! Jules César cherche un nouveau moyen pour soumettre le village d’Astérix. Et si la solution venait de Vicévertus, créateur du précepte de L’Iris Blanc qui apporte l’apaisement par la pensée positive ?

Depuis 2013, l’univers dessiné des irréductibles a été confié à Jean-Yves Ferri pour le scénario, et à Didier Conrad pour le dessin. Si ce dernier n’a jamais démérité, les qualités scénaristiques étaient plus fluctuantes. Les albums étaient sympathiques mais pas transcendants. Ils offraient une aventure orientée principalement pour le jeune public. Les différents niveaux de lectures manquaient cruellement.

Pour ce nouvel opus, on garde le dessinateur et on lui octroie un nouveau scénariste, le très populaire FabCaro. Bédéiste et romancier à succès, il s’est imposé par un univers très personnel dominé par l’humour absurde qui cache un regard acéré sur la société. Ici, on adore ! Mais on se demandait aussi si son écriture allait réussir à se marier à un univers aussi codifié qu’Astérix. Comment son humour allait embrasser celui de la série sans la dénaturer ? C’est dire s’il était attendu au tournant.

Sans être un album parfait, c’est une franche réussite. S’inscrivant dans les pas de René Goscinny, FabCaro prend tous les ingrédients d’un bon album d’Astérix. Toutefois, son côté « bon élève » peut parfois lui desservir. A trop vouloir respecter le maître, il est difficile de s’en détacher. Ainsi, la structure scénaristique de l’album est un mélange de La Zizanie, Le Devin et Le Domaine des dieux. On y trouve aussi des résonnances avec Obélix et compagnie. C’est toujours un plaisir pour le fan de retrouver des clins d’oeils aux albums précédents, des personnages, etc. Mais cela devient embêtant quand cela rend l’histoire prévisible. Gageons que cela n’était qu’un fil d’Ariane pour son premier album, et que le talent de FabCaro nous offrira une prochaine histoire totalement inédite.

Car pour le reste, on frôle la perfection. La satire de notre époque, qui était presque devenue secondaire depuis le décès de Goscinny, revient en force. FabCaro compose une caricature féroce des mouvements de développement personnel, qui prétendent offrir des solutions à coup de phrases toutes faites. Chaque planche fourmille de références plus ou moins évidentes à la société actuelle. Nous en prenons pour notre grade et le rire devient libérateur. Par son art de l’absurde, FabCaro marque le grand retour des jeux de mots de qualité et autres calembours. Il n’a pas peur d’y aller et on ressent son plaisir de les écrire.

Malgré son manque d’originalité narrative, L’Iris blanc signe une belle entrée de FabCaro dans l’univers du petit gaulois. Hilarant et satirique, il est à mettre entre toutes les mains.

Un article de Florian Vallaud

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Voyage en Italie

Veiller sur elle (2023)

Un roman de Jean-Baptiste Andrea

Publié chez L’Iconoclaste

580 p.

Je ne peux pas commencer cet article sans vous faire une confidence : je n’ai jamais lu Jean-Baptiste Andrea. Je sais, c’est honteux ! Ce n’est pas l’envie qui m’a manquée. Je vois passer ses romans depuis plusieurs années dans les librairies ; je lis les quatrième de couverture avec envie : mais rien ! Jamais l’occasion, jamais le temps. Toujours autre chose à lire en priorité. Il fait partie de ces fameux rendez-vous manqués. Cent millions d’années et un jour, Des Diables et des saints, Ma Reine…Tant de titres dont j’avais raté le coche. Et puis, on m’a mis Veiller sur elle entre les mains. Il fait déjà partie des succès de cette rentrée littéraire, auréolé du Prix Fnac 2023. Il était temps de s’y mettre.

Nous sommes en 1986. Un homme vit ses derniers instants dans une abbaye italienne où est caché un objet que le Vatican ne veut pas voir réapparaitre. L’homme raconte sa vie de jeune homme qui, rêvant d’être sculpteur, va vivre un parcours initiatique dans une Italie en plein chamboulement politique.

Comme son résumé le laisse penser, Jean-Baptiste Andrea nous convie à prendre part à une grande fresque historique et romanesque. Par ce récit initiatique enrobé de mystère, Le romancier aborde plusieurs thèmes qui s’imbriquent les uns dans les autres : l’ambition et ce qu’on est prêt à sacrifier pour parvenir à ses fins. Parvenir à concrétiser ses rêves justifie-t-il de renier ses principes ? Il y est aussi question, comme dans certains films de Visconti, de la fin d’un monde : l’aristocratie italienne. Le tout est porté par des personnages attachants auxquels l’auteur attribue des personnalités complexes. Mimo, son protagoniste nain rêvant d’être sculpteur, doit opérer des choix moraux tout au long de l’intrigue, nous invitant à nous questionner sur ce que nous aurions fait.

 Car l’autre grande force du livre est de nous raconter la montée en puissance du fascisme italien du point de vue de ceux qui n’en voient pas les dangers. Par petites touches, Andrea nous amène à comprendre comment un pays se laisse dominer par ces idées nauséabondes malgré lui, lentement mais surement. Le propos est bien là sans jamais être professoral.

L’auteur sait comment offrir un divertissement de qualité. Par la construction, tout d’abord. Il utilise les artifices des romans feuilletons, offrant un rebondissement à chaque fin de chapitre qui invite à embrayer immédiatement sur le suivant. Cela devient rapidement addictif. Mais ce procédé ne serait rien sans une écriture qui puisse donner une fluidité à l’ensemble. Le romancier déploie une écriture sensuelle et évocatrice. Il n’a pas à s’encombrer de longues descriptions, le choix précis des mots effectue le travail. On entre immédiatement dedans pour n’en ressortir qu’une fois l’histoire terminée.

Veiller sur elle fait partie de ces grandes fresques historico-romanesques dont il serait dommage de se priver. Si les contextes artistiques et historiques peuvent effrayer au premier abord, Jean-Baptiste Andrea donne toutes les clés pour profiter pleinement de son histoire. Par ailleurs, Il s’agit d’un roman complet où chacun trouvera de quoi le satisfaire : mystère, ambition, vengeance, amour, art, etc. Un délice pour prolonger un peu plus la période estivale !

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Entretien avec un humain

L’Odyssée d’HakimRésultat de recherche d'images pour "l'odyssée d'hakim tome 2"

Bande-Dessinée

Par Fabien Toulmé

Édité par Delcourt

Sortie le 29 Août 2018

 

Au travers d’une série d’entretiens, Fabien Toulmé a mis en image le récit d’Hakim, un jeune réfugié syrien, de sa vie en Syrie avant les premières manifestations jusqu’à la véritable odyssée qui l’a mené de la banlieue de Damas jusque dans le sud de la France, où l’auteur l’a rencontré.

À la fin de l’année 2010, le monde arabe commence à frémir, et finit par entrer en ébullition au cours des deux années suivantes. Un enchaînement de manifestations qu’on appellera le Printemps Arabe secoue nombre de régimes autoritaires, autocratiques et autres oligarchies. Une contestation qui finira par atteindre un pays plutôt méconnu dans nos contrées, la Syrie. La suite, nous la connaissons. Du moins, nous la connaissons vue au travers du prisme des médias. Des manifestations, qui dégénèrent finalement en guerre civile, où divers acteurs étrangers prennent part, qui pousse des millions de personnes à fuir leur pays la mort dans l’âme. Et si le conflit a cessé de faire les gros titres, le drame des réfugiés se poursuit, inexorablement.

Et l’une des facettes de ce drame, c’est sans doute le nombre. Alors que médias et gouvernements se battent à coup de chiffres, au point d’en arriver à éditer des palmarès du nombre de réfugiés ayant tenté de passer les frontières européennes ou du nombre d’entre eux qu’on accepte d’accueillir sur son sol, on en oublie souvent que le nombre est avant tout une accumulation d’unités. Des individus, avec chacun leur passif, leurs espoirs et hélas leurs souffrances. L’Odyssée d’Hakim commence par la rencontre de deux individus, Fabien Toulmé, auteur de bande-dessinée français, et Hakim Kabdi, horticulteur syrien poussé à l’exil. Au cours de nombreux entretiens, l’auteur a plongé au cœur de l’intimité du réfugié et recueilli son récit, pour le mettre en image et nous livrer le témoignage des moments, bons comme mauvais, qui ont émaillés son voyage.

Le résultat, c’est un récit qui se veut au plus près de la réalité, sans misérabilisme ni sensationnalisme. Après un préambule expliquant sa démarche, Fabien Toulmé enchaîne les chapitres, chacun résumant un entretien passé en compagnie d’Hakim et sa famille. Dans ce premier tome d’une série de trois, le quotidien d’Hakim nous dépeint une Syrie qui se délite et un peuple poussé à bout. Fragment de ce peuple, Hakim nous livre l’accumulation d’exactions et la dégradation des conditions de vie de sa famille, tout ce qui l’a poussé à l’exil, mais aussi les petits soucis du quotidien d’un réfugié, ainsi que ses petites victoires. Le récit extraordinaire d’un homme ordinaire, en somme.

L’Odyssée d’Hakim est un projet de longue haleine (il est en gestation depuis 2015), mais ce n’est peut-être pas un mal. En arrivant sur le tard, il nous permet de garder à l’esprit que l’un des pires conflits de cette décennie est encore loin d’être terminé. Un récit prenant qu’on lâche difficilement, et c’est avec une impatience coupable que nous attendons la suite.

Un article de Guillaume Boulanger-Pourceaux

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Rentrée Littéraire 2018 : Arthur et Paul, la déchirure de René Guitton

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Un Roman de René Guitton

Paru le 16 Août 2018

Aux éditions Robert Laffont

 

 

Sur la couverture, un verre d’absinthe qu’entourent le visage juvénile et mondialement connu d’Arthur Rimbaud et celui de son, non moins célèbre, amant Paul Verlaine. En quelques éléments, les personnages sont présentés. On comprend sans même lire la quatrième de couverture qui sont ces Arthur et Paul qui seront au cœur de ce quatorzième ouvrage de René Guitton. L’essayiste et romancier nous propose un livre à la frontière de la fiction et de la biographie des deux illustres poètes. Le résultat est à la hauteur des attentes, à la fois didactique, poétique et infiniment littéraire.

Paul a tiré sur Arthur. Cet événement connu de tous est le point de départ de cette histoire et de la déchirure qui va scinder à jamais le destin des amants. Verlaine vit ses années de prison tandis que Rimbaud fait la rencontre d’un pasteur à Londres.

En vrai passionné de son sujet, René Guitton décide de nous dresser le portrait de ces deux esprits brillants qui le fascinent depuis l’enfance. Pour se faire, il alterne les points de vue au gré des chapitres, passant tour à tour des pensées de Verlaine à celles du pasteur qui tente de percer le mystère Arthur Rimbaud.

Bien qu’il nous narre une période restreinte de leurs existences, l’auteur dégage l’ensemble de leur être avec une vraie maestria. On referme le livre en ayant la sensation de mieux connaître ces personnages. Il n’entre pas dans les détails mais, tel un impressionniste des mots, brosse quelques traits qui donnent l’impression de voir l’ensemble. C’est ce que cherche le lecteur quand il saisit un livre parlant de personnages réels et la réussite est indiscutable. René Guitton donne même à relire des extraits de leurs poèmes respectifs qui procurent l’envie de se replonger immédiatement dans leur travail.

Mais il ne fait pas qu’un beau travail didactique. C’est aussi un beau travail d’écrivain. Chaque mot est pesé et certaines formules rivalisent de poésie avec leurs sujets. Il y est question d’amour, d’homophobie mais surtout de génie créatif. Les chapitres assez courts vont à l’essentiel et rythment la lecture.

Arthur et Paul, la déchirure est un roman passionnant pour qui aime partir à la rencontre de figures iconiques de la littérature. Il dresse également le portrait d’une époque troublée par la Commune de Paris où certains auteurs français ne trouvent plus leur place dans un état de guerre. C’est fin, pertinent et attachant. Ce n’est pas peut être pas un chef d’œuvre, mais il ne faut pas passer à côté.

Un article de Florian Vallaud

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Rentrée Littéraire : La Purge de Arthur Nesnidal

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Un Roman de Arthur Nesnidal

Paru le 16 Août 2018

Aux éditions Julliard

 

Les plus fidèles d’entre vous l’auront remarqué, nous ne détruisons des œuvres qu’en de très rares occasions. Les raisons en sont multiples : nous préférons partager avec vous des coups de cœur que des coups de gueule, et nous avons le respect du travail des artistes qui font le geste d’offrir quelque chose à leur public. À la rigueur, il nous arrive de partager nos déceptions ou nos réserves sur certaines œuvres tout en soulignant ce qui les rend intéressantes ou non. Nous préférons l’analyse au sentiment personnel, les pistes de réflexions aux coups de sang. Mais quand c’en est trop, il faut le dire. Quand le public est pris pour un con, notre rôle est de monter au créneau. Alors préparez-vous, voici l’article épidermique du moment !

Jamais roman n’a aussi bien porté son nom. La blague est facile mais tout à fait indiquée dans ce cas. Arthur Nesnidal offre avec La Purgela démonstration d’une écriture qui se regarde le nombril à chaque instant. Le propos de départ est intéressant puisqu’il prétend démontrer le quotidien compliqué des classes préparatoires pour hypokhâgne avec une plume acerbe et féroce.

Mais sa prose d’une complexité inutile force le lecteur à parfois relire plusieurs fois un passage pour en comprendre le sens. Nous ne lui demandons pas d’être Marc Levy ou Guillaume Musso, dont les styles simplistes pourraient être ceux d’enfants de 10 ans, mais il y a des limites à l’esthétisme littéraire : celui de la compréhension. Les phrases sont belles mais ne servent en aucun cas le propos.

D’autant qu’une fois décryptées, on en vient à se demander si cette complexité ne sert pas plutôt à camoufler une certaine vacuité du propos. L’auteur enchaîne les platitudes et les lieux communs. Tout ce qu’il nous dépeint est connu de tous et ne se limite pas aux classes préparatoires. La cantine n’est pas bonne, les professeurs écrasent leurs élèves, le rythme de travail est intense, etc. On retrouverait les mêmes choses dans le livre d’un élève de médecine.

La Purge d’Arthur Nesnidal est la masturbation littéraire d’un auteur qui semble davantage penser à démontrer ses talents de poète qu’à soutenir son propos. Il en ressort alors un livre désagréable, qui tombe des mains régulièrement et devient une épreuve de force malgré ses 200 pages. C’est prétentieux et camoufle un propos vide. Une belle déception.

Un article de Florian Vallaud

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Rentrée Littéraire 2018 : Pervers de Jean-Luc Barré

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Un Roman de Jean-Luc Barré

Sorti le 22 Août 2018

Aux éditions Grasset

Victor Marlioz, auteur au succès incontestable, reçoit le directeur des pages littéraires d’un grand magazine. Il va lui livrer la vérité sur qui il est. Ce sujet intéresse d’autant plus le critique qu’il vient de recevoir une lettre anonyme désignant l’auteur comme l’assassin de sa propre fille, ce qui ne paraît pas improbable quand on sait que Marlioz aime manipuler son entourage pour en faire le matériau de ses livres. Les passes d’armes peuvent commencer.

La promesse était belle bien que classique. On a souvent vu des romans prenant pour sujet l’affrontement entre critiques et auteurs. Celui qui vient immédiatement à l’esprit est le premier succès d’Amélie Nothomb avant qu’elle n’entre en écriture automatique : Hygiène de l’assassin. En y réfléchissant bien, cette comparaison nous permet de mettre le doigt sur ce qui nous a manqué au fil de la lecture du roman de Jean-Luc Barré :  de la tension.

L’écriture de l’auteur est fluide, claire avec de belles trouvailles. Mais elle ne compense pas des thèmes trop souvent rebattus auxquels il n’offre pas grand-chose de nouveau. Puisqu’il s’agit de perversité et de manipulation, on aurait aimé ressentir un certain poids sur les épaules du critique, un jeu de domination entre les deux dont les forces évoluent au fil des pages. Mais l’histoire reste linéaire et n’offre aucune aspérité pour que le lecteur s’y accroche. Bien qu’il y ait un mystère, rien ne nous fait vibrer.

Il ne compense pas par des personnages particulièrement étudiés, on reste dans les caricatures habituelles de ce genre d’histoire. C’est d’autant plus dommage qu’on éprouve de la sympathie pour ce qui est narré et que l’auteur semble maîtriser son sujet. La lecture se fait sans déplaisir mais, arrivés au terme des 200 pages, nous avons un goût d’inachevé. Plus de profondeur et d’épaisseur dans les personnages aurait sans doute donné du relief à l’ensemble.

Perversest une semi-déception. Si la prose de Jean-Luc Barré reste agréable tout au long du roman, elle est soutenue par un fond trop instable pour qu’on puisse y adhérer. C’est tiède là où ça aurait pu être brûlant. C’est la preuve, s’il en fallait une, que quand on aborde des sujets mille fois développés, il faut avoir quelque chose d’intéressant à en dire. Il en résultera un souvenir de lecture agréable mais pas impérissable. Dommage.

Un Article de Florian Vallaud

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Rentrée Littéraire 2018 : Héléna de Jeremy Fel

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Un Roman de Jérémy Fel

Publié le 22 Août 2018

Aux éditions Rivages

 

Le mois de Septembre pointe le bout de son nez et, avec lui, se profile pour beaucoup la reprise du travail. C’est probablement pour rendre cette période plus douce que les éditeurs décident de sortir l’artillerie lourde et arrosent les rayons d’une rafale de nouveaux titres. Cette année encore, le choix devra se faire entre 567 romans. Comme on est sympa chez Culturotopia, on a décidé de vous aider à y voir un petit peu plus clair. Et c’est avec un plaisir non dissimulé que nous ouvrons cette saga de critiques par le second roman d’un auteur trentenaire : Jérémy Fel.

Il entre dans l’arène littéraire en 2015 avec un premier roman remarqué, Les loups à leur porte.Déjà, il y instaurait un style particulier (entre David Lynch et Stephen King) qu’on retrouve dans son nouvel ouvrage. Helena raconte le destin de quatre personnages dans l’Amérique profonde qui n’auraient jamais dû se croiser. Il y a Hayley, future golfeuse professionnelle qui suit les ambitions de sa défunte mère et prend la route vers un tournoi important. Il y a Norma, mère de famille « modèle » qui va la secourir après une panne sur le bord de la route. Il y a son aîné Graham qui lui trouvera un garagiste. Et puis, il y a Tommy qui est tourmenté par un être étrange et verra en Hayley une partenaire potentielle.

Par son éclatement en ces quatre points de vue narratifs, Jérémy Fel tisse une toile diabolique à laquelle il est impossible d’échapper. En utilisant les codes du thriller, l’auteur nous prend à son jeu et ne nous lâche qu’une fois les 700 pages parcourues. Il structure son histoire comme un scénario de cinéma. Le premier acte présente les personnages, les met en présence puis arrive le drame qui va tout faire éclater. Cependant, même s’il y a des mystères dans son histoire, leur résolution n’est pas une fin en soi.

Héléna traite de deux sujets qui se rejoignent aisément : les êtres blessés et la famille. Il nous dépeint des personnages dont la chute semble inexorable soit par leur passé compliqué, soit par les actes qu’ils sont amenés à exécuter. On les regarde explorer leurs zones d’ombres qu’ils ne soupçonnaient pas. Ce qui frappe dans la plume de Jérémy Fel, c’est qu’il ne juge jamais ses personnages. Il n’exerce ni de condamnations, ni de fascination : il les scrute. Il nous accompagne dans la quête de leurs fêlures. Il pose également la question de ce qui lie des parents à leurs enfants, de ce qu’une mère est prête à faire pour protéger les siens. La radiographie de la famille que nous propose l’auteur est acerbe mais finalement assez juste et touchante. Certaines pages sont d’un lyrisme libérateur.

Héléna est notre premier coup de cœur cette rentrée littéraire. Il a toutes les qualités rythmiques d’un bon « page-turner » accompagnées d’un sens aigu de la psychologie de ses personnages. Par un style simple mais jamais simpliste, il nous fait entrer dans leurs têtes et partager leurs dilemmes successifs. En ce sens, il s’inscrit dans la droite lignée des meilleurs romans du maître Stephen King, un des rares capables de faire de ses romans fantastiques de vraies œuvres de littérature. Il est donc essentiel de découvrir enfin ce jeune auteur et de lui donner la place qu’il mérite dans le paysage littéraire français. À ne pas manquer !

Un article de Florian Vallaud

 

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Le Retour du vent barcelonais

Le Labyrinthe des esprits (2018)Résultat de recherche d'images pour "le labyrinthe des esprits"

Un roman de Carlos Ruiz Zafón

Paru chez Actes Sud 

Alors que Franco règne sur l’Espagne, un de ses ministres ne donne plus de signe de vie. Sa disparition semble liée à un certain Victor Mataix, auteur maudit torturé dans les prisons du régime. La jeune Alicia Gris est lancée sur ses traces. Elle va découvrir que cette histoire est jalonnée de mystères et de meurtres.

Été 2004, un ami me met un roman entre les mains. Un livre qu’il a énormément aimé. Un bijou, me dit-il. Sceptique, je scrute la couverture et le titre : L’Ombre du vent. L’auteur est espagnol et inconnu en France. Pourtant je m’installe sur le lit et ouvre la première page. Tel le jeune héros de L’Histoire sans fin, je suis aspiré par ces pages qui me font visiter une Barcelone crépusculaire et fantomatique où règnent les livres et les auteurs maudits. On m’avait rarement aussi bien fait ressentir l’ambiance d’une ville et parlé de la force de la littérature. Le tout mâtiné d’un peu de fantastique. À l’issue des 530 pages, je connaissais très bien son protagoniste Daniel Sempere, fils de libraire qui découvre un lieu caché où sont conservés les livres oubliés. Je n’avais qu’une envie : le retrouver.

5 ans plus tard, l’auteur change d’éditeur français pour passer de Grasset à Robert Laffont mais la patte est toujours là dans Le Jeu de l’Ange. Le protagoniste et l’époque sont différents mais l’univers est le même : Barcelone, le Cimetière des livres oubliés, même la famille Sempere. Carlos Ruiz Zafon compose une histoire tentaculaire. Sa volonté se confirme trois ans plus tard dans Le Prisonnier du Ciel. C’était en 2012. On pensait qu’il ne s’agissait que d’une trilogie et qu’on en avait fini avec les Sempere. Mais les plus curieux virent apparaître un nouveau tome en Espagne en 2016. Cependant, aucune nouvelle pendant deux ans du côté de Robert Laffont. Alors vous imaginez mon agréable surprise quand il apparut début 2018 dans le line-up des belles éditions Acte Sud. 14 ans après les premières sensations, j’allais enfin pouvoir avoir la fin de cette saga formidable.

Le premier constat incontestable est que la magie des mots de Zafón fonctionne encore. Il a la force de camper un décor en quelques mots et d’y instaurer un mystère. Le paradoxe du roman vient d’ailleurs de là : c’est un vrai page-turner qu’on a envie de prendre le temps de savourer. Ainsi, avec quasi 900 pages au compteur, c’est un livre qui s’inscrit dans la durée créant par là-même une forte empathie avec le lecteur. Mais c’est aussi un témoignage éloquent de ce qu’a pu être l’Espagne franquiste où personne n’était digne de confiance.

Le Labyrinthe des esprits sera votre compagnon idéal pour l’été avec ce qu’il faut d’aventure, de mystère et d’amour pour vous donner envie d’y revenir. Et, si c’est un plus d’avoir lu les précédents pour une totale compréhension, l’auteur a conçu sa quadrilogie pour que les tomes soient lus dans n’importe quel sens. Vous n’avez donc pas de raison de passer à côté.

Un article de Florian Vallaud

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De la puissance du récit

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Bande dessinée

Joe Kelly (Scénario) et Ken Niimura (Dessin)

Édité par HiComics

Sortie le 23 mai 2018

Barbara Thorson n’est pas une jeune fille comme les autres. Elle vit dans un monde magique que ses autres camarades ne voient pas, peuplé de lutins, et surtout de géants, qu’elle se prépare à tuer pour protéger le monde du mal qu’ils répandent. Mais la sinistre réalité est parfois bien plus dure à affronter.

Il aura fallu attendre quelques années pour voir enfin débarquer I kill giantsen France en VF. Dommage que les moins anglicistes d’entre nous aient été privés de cet étonnant récit pendant tout ce temps, mais mieux vaut tard que jamais, d’autant que l’édition concoctée par HiComics est on ne peut plus conséquente, avec une préface de Anders Walter (réalisateur de Chasseuse de géants, l’adaptation de la BD, que nous chroniquerons à partir du 6 juin), une postface de Chris Colombus (producteur du film), une interview pertinente des auteurs, une galerie et des artworks faisant la part belle au travail de Ken Niimura, ainsi que quelques planches traitant avec humour de la relation de travail entre lui et Joe Kelly. Une édition riche donc, qui permettra au lecteur d’appréhender au mieux l’œuvre qu’il tient entre les mains.

Non que I kill giants soit une œuvre difficile à comprendre. Au contraire, l’écriture de Joe Kelly est fluide, claire et plaisante. L’histoire est forte mais loin d’être impénétrable, que ce soit pour les adultes, qui découvriront un récit vif, émouvant, et en même temps empreint de drôlerie, ou pour les plus jeunes qui découvriront en Barbara un personnage d’une incroyable consistance, pas forcément agréable, parfois gênant, mais crédible en diable, et suscitant instantanément l’empathie. Un petit après-midi suffira à parcourir cette aventure fantastique ancrée dans une réalité difficile, mais à n’en pas douter, on en appréciera le texte autant que le trait longtemps après l’avoir refermé. Le style de Ken Niimura répond admirablement au dynamisme du récit par sa capacité à exprimer toute une palette d’émotions à l’aide de quelques traits ou à poser un décor tout en dégradé de gris. L’ensemble est minimaliste, et pourtant, l’action est percutante, les émotions palpables et le petit monde imaginaire de Barbara tout en transparence. Un style qu’on ne pourra pas qualifier de délicat, mais indéniablement efficace. 

I kill giants fait partie de ces récits qui vous emportent, depuis son ouverture jusqu’à son final déchirant, et pourtant scintillant d’espoir. Une œuvre forte qui touche tout le monde et qui mérite d’être partagée avec le plus grand nombre. Un excellent titre, à savourer en même temps que le retour des beaux jours.

Un Article de Guillaume Boulanger-Pourceaux 

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Le Joël Dicker nouveau est arrivé

La Disparition de Stéphanie Mailer (2018) Résultat de recherche d'images pour "la disparition de stephanie mailer"

Un roman de Joël Dicker

Paru le 1erMars 2018

Aux Editions De Fallois

 

 

Quelques jours avant son départ à la retraite, l’inspecteur Jesse Rosenberg est pris à partie par une journaliste de l’Orphea Chronicle, Stéphanie Mailer. Elle lui révèle que l’enquête qui a fait de lui un héros, vingt ans auparavant, a été bâclée : le meurtre du maire d’Orphea, de sa famille et d’une joggeuse, le jour de l’inauguration du premier festival théâtral de la ville. Il n’aurait pas vu ce qui était sous ses yeux. C’est alors qu’elle disparaît. Avec l’aide de son ancien coéquipier et d’une nouvelle inspectrice d’Orphea, Jesse va rouvrir l’enquête et les blessures qui y sont liées.

Depuis l’immense succès de La Vérité sur l’affaire Harry Québert, chaque nouveau roman de Joël Dicker est attendu avec fébrilité. Ce roman d’enquête, dont le thème peut faire beaucoup (parfois trop) penser à La Tâche de Philip Roth, mélangeait habilement les influences. Ce premier best-seller de l’auteur s’inscrivait entre les polars psychologiques de R.J. Ellory et les intrigues à tiroirs de Michael Connelly. On avait hâte de savoir ce qu’il allait pouvoir nous offrir par la suite. Vint alors Le Livre des Baltimore qui reprenait les mêmes recettes sans prise de risque. Cela pouvait sembler logique de vouloir asseoir sa réputation et consolider le lectorat acquis. Il fallait donc attendre un nouveau livre pour se faire un avis.

Force est de constater que La Disparition de Stéphanie Mailer est une déception. Ce n’est pas un mauvais roman, mais il sent terriblement l’écriture automatique. L’auteur nous sert encore la même chose. Il reprend ses influences américaines, les mêmes ambiances et la même construction de l’histoire. Chaque chapitre finit par un cliffhanger qui vise à hameçonner le lecteur mais ne l’éclaire jamais. Joël Dicker utilise parfois plusieurs fois le même ressort à différents endroits pour embrumer un peu plus et donner l’impression d’une virtuosité de l’intrigue qui s’avère assez classique finalement. On pourrait bien nous servir du foie gras tous les jours qu’au bout d’un mois, ça n’aurait plus de goût.

D’ailleurs, c’est comme si l’auteur avait pressenti les déceptions à venir. Il se défend de tout mauvais avis à venir en créant un personnage de critique théâtrale qui coche toutes les cases des clichés sur la profession. Un critique est forcément un artiste raté qui reproche aux autres leur succès. À part Luc Besson avec Valerian, plus personne n’avait osé faire appel à cet argument éculé depuis longtemps.

Malgré cette impression de déjà-vu et de paresse de l’auteur, la lecture reste fluide et sympathique. On ne passe pas un mauvais moment mais le goût de réchauffé est trop présent. Il n’y a pas la même saveur et on oublie tout une fois le livre refermé.

Un article de Florian Vallaud